par Désirée Szucsany
Les enfants naissent tous sous la même étoile et grandissent sous des influences différentes dont l’impact ne tarde pas à se manifester dans la vie de l’être humain. C’est ce que déclarait en 1983, Christine Olivier, femme et analyste. Elle s’intéresse plus particulièrement aux conséquences de l’empreinte maternelle sur les comportements de la fille et du garçon (1).
«À l’ombre de la mère, Jocaste, personnage absent de la théorie freudienne où Oedipe règne, souligne-t-elle, grandissent également des filles qui, un siècle après Freud, forment le groupe de la population le plus souvent atteint de dépression, comme le démontre les statistiques.»
Rôle jocastien
L’enfant a un rôle oedipien plus précoce que Freud ne le pensait, explique Dr Olivier qui est de formation lacanienne «sans en avoir accepté toutes les implications», précise-t-elle.
Dès l’âge de 18 mois, soit à la reconnaissance des sexes, on peut remarquer des différences de comportement entre les garçons et les filles. Ces dernières, par exemple, sont les plus précoces du point de vue du langage. Pourtant, la mère éduque ses enfants de la même façon.
«D’où cette différence provient-elle?» interroge Dr Olivier.
Les soins et l’éducation sont monosexués alors que les enfants sont de deux sexes. L’enfant n’est jamais que la réponse au désir de la mère et sa prévenance. Cependant la mère se fixe de façon élective à son fils. Le fait que ce dernier soit sexué provoque des remous en elle, consacrant le fils comme objet de désir. L’éveil des possibilités sexuelles est un rôle parental au même titre que celui de l’identification. Freud a d’ailleurs admis la nécessité d’avoir une Jocaste. Mais qui tiendra ce rôle auprès de la fille?
Laïos, père absent
L’identification est un piège pour les femmes, poursuit Dr Olivier, déclenché par l’absence du père, ce Laïos de la tragédie grecque de Sophocle. Qu’advient-il de la petite fille s’il ne la «paterne» pas, s’il n’est pas là pour ressentir de l’émoi et du plaisir en la découvrant avec son corps?
Non reconnue comme objet de désir, ne s’identifiant à personne parce que dans un premier temps elle n’a pas les «attributs» de sa mère, elle grandit en sagesse. Cependant, elle apprend vite à parler pour dire son insatisfaction. Elle devient une polytechnicienne angélique, enfermée par sa mère dans un projet de femme. Vers l’adolescence, pour la première fois de sa vie, elle s’aperçoit qu’elle est désirée : c’est sa première histoire d’amour, un choc souvent immense, alors que pour son frère, il s’agit d’une simple répétition de sa première histoire d’amour, vécue avec sa mère. La petite fille grandit entre son corps et sa tête. Ce clivage est lourd de conséquences.
Dr Olivier cite, entre autres, l’exemple des femmes anorexiques dont le nombre croît sans cesse. «Ces femmes ont très souvent un intellect puissant. Devant le choix inévitable d’être ou non un objet de désir, elles préfèrent le second. En refusant de manger, elles se débarrassent de ce corps, qui nuit à leur projet.»
Dans d’autres cas, la femme réclame sans cesse d’être regardée, appréciée ; elle multiplie les effets et sa plainte qui se traduit physiquement, débouche souvent sur la dépression. L’homme qu’elle côtoie ou qu’elle épouse temporise sans cesse, mais en vain.
À l’âge de la ménopause, les objets de gratification dont elle s’est entourée lui échappent, y compris ses enfants, ce qui lui fait dire qu’elle n’est rien, parce qu’elle n’a rien. Pourtant, «ça ne peut pas être l’hiver, on n’a pas eu d’été», cite Mme Olivier en se référant au film de la cinéaste québécoise, Louise Carré.
Dans les nouvelles familles, l’éducation et les soins partagés réhabilitent la présence du père et il y a tout lieu de croire que l’homme nouveau, tant réclamé par les féministes, est en train de naître. Il caresse et reconnaît sa fille, heureux de la réciprocité de l’émoi ressenti, car il est plaisant de reconnaître et d’être reconnu.
Le père n’est plus métaphysique mais physique et palpable : il se nomme et raconte lui-même son histoire. «Ainsi la menace de l’échafaud qui pesait sur toutes les reines que sont les mères s’éclipsera-t-elle enfin?» de terminer Mme Olivier.
(1) Olivier 1980, Les enfants de Jocaste, éd. Denoël/Gonthier, Paris7. Mme Olivier a présenté une conférence au XVIIIe Congrès annuel de l’Association des psychiatres du Québec, en 1983.
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