![]() |
Richard Vaskelis, peintre |
VASKELIS REJOINT BONNARD
Richard Vaskelis, peintre (1947-2010)
par Désirée Szucsany
La semaine dernière, j’ai téléphoné à Richard pour qu’il m’accorde une entrevue. «Il est à Québec, il revient la semaine prochaine», me répondit sa compagne. J’apprends ce matin par Michel Normandeau que Richard nous a quittés hier, à la suite d’un anévrisme. Quel choc! Son oeuvre survit, palette brillante et lumineuse, objets appétissants et composition poétique qualifient ses tableaux. Il a immortalisé la rivière Rouge, un de ses lieux préférés, et d’autres paysages des Laurentides tout aussi séduisants. Au cours de l’été 2009, il m’a donné un coup de main, alors que nous exposions à la boutique de Kevin Radcliffe, au vieux village de Mont-Tremblant. Vaskelis a toujours pris l’art très au sérieux, il a d’ailleurs étudié sous la direction de Arthur Lismer, du Groupe des Sept. Plus près de nous, il a inauguré la salle des arts de l’hôtel de ville de Mont-Tremblant, en 2005. Et pas plus tard que la semaine dernière, il inaugurait une salle d’exposition à la boutique Archange, au petit hameau, avec Normandeau. Je voulais lui demander ce qu’il pensait de la situation des arts en 2010.
En son hommage, je reproduis la réponse qu’il me donna en 1999, dans Artistes. Peut-être aurait-il eu de nouveaux commentaires à formuler? Voici ce que pensait Vaskelis, il y a une dizaine d’années.
Il est fondamental de s’interroger
Richard Vaskelis aime la beauté, il la chérit, la cultive et s’y attarde à tout moment. Ce peintre dont le nom est d’origine lithuanienne, se régale, à butiner les fleurs dont il parsème son atelier. Des bouquets savamment ordonnés surgissent ici et là dans son antre. Sur le buffet, sur la table, sur le bord de la fenêtre d’où l’oeil s’échappe vers le lac Brunet. Richard Vaskelis ne rate aucune occasion de rendre hommage au beau. Il aime peindre les ambiances intérieures, un petit coin gentil et chaud, un visage d’ami. «J’aime faire des portraits explique-t-il, cela crée une intimité qui me ravit».
Le romantisme imprègne les lieux où vit Richard Vaskelis. Il peint depuis quarante ans mais ce n’est pas du passé dont il veut parler. Assis à la table, accompagnés de la lumière douce d’automne, celle qui adoucit les traits, nous discutons à bâtons rompus. Sur la table, un café chaud, un morceau de pain, de vrai pain, un doigt de cognac pour calmer la toux, et du fromage. Richard parle de l’ignorance, sa bête noire. Il est inquiet. «On vous dresse, on garde un peuple dans l’ignorance. Les gens en viennent à ne plus se poser de questions. Alors que dans d’autres cultures, c’est fondamental de s’interroger».
Maintenant ou jamais
Comment l’artiste combat-il cette situation? En se disant chaque jour, c’est maintenant ou jamais. Et il empoigne ses pinceaux, il travaille, là, tout de suite, chassant la paralysie qui peut le gagner comme tout être vivant et sain devant le désert de l’ignorance dans laquelle la société s’enlise parfois longtemps. Il remarque : «L’artiste peut être conscient, ça dépend de l’artiste. Il peut faire comme tout le monde, prendre une pilule pour s’endormir, fermer les yeux sur le fait qu’il n’y a pas d’homme ou de femme politique à la hauteur pour éviter la décadence, regarder un cinéma qui ne lui ressemble pas et gober l’identité des autres, accepter la manipulation. Ce n’est pas tout le monde qui réfléchit, qui veut voir clair. Il est facile de semer le doute chez les faibles», pense Vaskelis. Le grand fléau de notre temps? Il le répète, l’ignorance, qui entraîne la pauvreté et la misère. L’instruction, la connaissance, sont les armes les plus redoutables pour se défendre. Et celle-ci est disponible. Cela dépend où tu vis, souligne-t-il. Au Québec, trouve-t-il, au niveau des arts, en musique, en littérature, en peinture, il y a un manque. Le milieu est fermé à ces options, l’art est marginalisé, il n’est pas dans les foyers.
Apprendre la beauté
Selon Vaskelis, c’est un stéréotype du colonisé. Un refus de prendre position. Il s’alarme contre le fait que les seuls instants où les gens pensent au bonheur des autres, c’est quand ils écoutent une pub mielleuse distillée pendant trente secondes à la télé. «On peut même vous faire avaler que vous trouverez un ami à la pharmacie», s’indigne-t-il. «Quand à l’art pour l’art, il fait partie de notre problème. Il y a plein d’humoristes. Est-ce tout ce qu’il nous reste, rire de soi et des autres? C’est un symptôme de perte de liberté Si tu rouspètes, on te dit, va-t-en chez vous! L’expression de chacun est affectée. L’art est dans un étau. Pourtant l’art existera toujours!» Il fait une pause. «Il y en a qui font des expériences et qui passent pour des artistes. Et chez les tenants de l’art officiel, le figuratif n’est pas reconnu. On dirait que si les gens peuvent comprendre l’image qui figure sur un tableau, cette image n’est pas de l’art. L’art n’est pas un refuge, c’est une qualité de vie destinée au plus pauvre comme au plus riche. Les plus beaux moments de ma vie ne sont pas liés à l’argent. La peinture me procure beaucoup d’équilibre. C’est là que je suis le plus honnête, que mon art me dicte le respect. Je ne triche pas, je ne prends pas de raccourci. Je crois en ce que je fais. Pour un peintre, ce qui est important, c’est la vision. Il y a tellement de choses extraordinaires, pourquoi passer à côté? Si tu passes à côté, tu fais comme tout le monde, et tu es juste un peintre. Pas un artiste.» Quand on expose, on a un rôle : démontrer qu’il y a de la beauté dans la vie. Montrer ce que les autres ne voient pas. «J’ai développé mes yeux comme un musicien a développé ses oreilles. J’aimerais dire aux gens que les yeux ne servent pas seulement à identifier, mais également à découvrir, à élargir ses horizons. L’art n’est pas nécessairement beau. Ce n’est pas un secret. C’est une question de connaissance, de savoir reconnaître les lignes harmonieuses, l’ingéniosité. On apprend la beauté comme on apprend l’amour. Le rôle d’un artiste est de rappeler au souvenir des êtres humains d’ouvrir les yeux.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire